by Abdourahman Mohamed Guelleh, "TX" and Amber FrenchNovember 17, 2020
Cet article est également disponible en anglais (ici).
Ça fait des années qu’Abdourahman Mohamed Guelleh dit TX, figure majeure du mouvement prodémocratie à Djibouti, s’est débarrassé de la peur, faisant place à l’espoir, l’assurance je dirais même. L’assurance que son petit pays en Afrique de l’est verra le jour où la répression prendra fin et la démocratie règnera.
Mon interlocuteur s’est lancé dans l’auto-apprentissage de la stratégie de l’action non violente dans un contexte très répressif. Il sortait de quatre mois de prison pour avoir participé à une réunion de crise de la coalition d’opposition de sept partis politiques dont il était le secrétaire général, suite à un massacre de civils dans Buldhuqo, banlieue de la ville de Djibouti le 21 décembre 2015 à la veille de la présidentielle de 2016.
Simplement en tapant le terme « comment vaincre une dictature sans violence » dans un moteur de recherche, il a découvert quelques livres clés sur la résistance non violente, traduits en français et mis à disposition gratuitement sur les sites de CANVAS, d’ICNC (note d'éditeur : voir la bibliothèque d'ICNC en français ici), et d’autres organisations engagées dans l’éducation sur ce sujet. Tout cela s’est passé en 2015-2018.
En juste quelques années depuis, des centaines de livres, articles, vidéos, et d’autres médias sont désormais disponibles sur internet, dans plus de 70 langues. Il y en a qui sont conçus pour les « initiés », comme Abdourahman l’était en 2016, comme pour les avancés. Les obstacles à l’auto apprentissage se réduisent donc.
En interviewant Abdourahman pour Minds of the Movement, je souhaitais dévoiler comment les militants peuvent devenir, eux aussi, autodidactes sur le sujet de la résistance civile, même dans un contexte de répression très dure et en s’appuyant uniquement sur des ressources gratuites et un peu d’autodiscipline.
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Les rues de Djibouti. Source: Flickr user cristina317 (CC BY 2.0, photo recadrée).
Abdourahman : La République de Djibouti, ancienne colonie française, se situe en Afrique de l’Est, sur la mer rouge où transite une bonne partie du commerce international. Niché dans une région difficile devenue terreau du terrorisme et de l’autoritarisme, voisin de l’Ethiopie, la Somalie, l’Erythrée et le Yémen, le pays jouit d’une position hautement stratégique malgré ses 23200 km2 et sa population qui frôle à peine un million d’habitants concentrés dans la capitale. Les grandes puissances étrangères, France, USA, Chine, etc… s’y bousculent et y possèdent des grandes bases militaires.
Seuls deux présidents se sont succédés à la tête du pays depuis 1977. Le premier l’a dirigé vingt-deux années (1977-1999). Le second, au pouvoir depuis 1999, s’apprête à pulvériser en avril 2021, à travers un 5ème mandat, le record de longévité de son prédécesseur.
Une chape de plomb s’abat, systématiquement, sur toute voix discordante. Le dernier massacre ayant fait des dizaines des morts de civils innocents date du 21 décembre 2015 suite à une cérémonie traditionnelle et religieuse d’une des communautés locales mais interdite par le régime.
Aucune voix libre ne peut s’exprimer dans les médias publics réduits à la seule radio, l’unique télévision et le seul journal contrôlés par l’Etat. Le débit d’internet trop chère volontairement limité alimente à compte goute les réseaux sociaux qui, pourtant et au grand dam du régime, restent l’incontrôlable et l’inéluctable bombe à retardement.
Durant 43 années, les forces d’opposition ont tenté, sans succès, la lutte armée, les urnes et le boycott aux élections. Ces stratégies n’ont jamais réussi. Tout simplement, la dictature en place détient le pouvoir par la force répressive et la fraude électorale. Gene Sharp, dans son ouvrage De la dictature à la démocratie n’a-t-il pas raison en mettant en garde les démocrates contre les régimes autoritaires ?:
« C’est la résistance et non pas la négociation qui compte dans les conflits dont les enjeux sont fondamentaux. Dans presque tous les cas, la résistance doit continuer pour chasser les dictateurs du pouvoir. Le succès est le plus souvent déterminé non pas par un accord, mais par l’usage des moyens de résistance les plus appropriés et les plus puissants disponibles ».
Face à l’impossibilité de vaincre une dictature par les urnes, la rébellion ou la négociation, germe alors, au plus profond de mes réflexions, l’idée d’étudier les forces et les faiblesses de l’action non violente comme stratégie.
Source: ICNC.
Cet exercice de réflexion m’a été inspiré en prison où j’étais arbitrairement enfermé suite au massacre du 21 décembre 2015. Sorti de prison après quatre mois d’isolement, je me lance, alors, dans des vastes recherches à travers internet et l’Histoire des combattants de la liberté dans le monde, sur les techniques capables d’abattre, sans violence, une dictature.
Méticuleusement organisé et déterminé, je n’ai pas été déçu par les apprentissages, le temps passé dans mes recherches à travers internet, par mes lectures sur les expériences réussies à travers le monde.
Les livres Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes de Srdja Popovic ; De la dictature à la démocratie de Gene Sharp ; et La lutte non violente en 50 points de CANVAS m'ont beaucoup inspiré. Ce sont mes compagnons de tout temps, ma boussole.
Bien sûr, ces investissements n’ont pas été tous gratuits, surtout l’internet et quelques livres téléchargés ou commandés (de maisons de publication en Europe) mais pas très chers en termes de financement. Par contre, ça demande de l’organisation, de la volonté, du temps et de la rigueur dans l’apprentissage, de l’énergie aussi. Mon engagement n’est pas sans risques mais je suis très heureux d’investir toute mon énergie dans le combat pour la liberté et la démocratie dans mon pays.
De 2016 jusqu’à ce jour, je suis embarqué sur l’arsenal technique tel un bateau et navigue dans l’étendue de la lutte non violente comme un poisson dans l’eau. Je ne me lasse pas d’apprendre, virtuellement, auprès de Gene Sharp les questions stratégiques, auprès de Srdja Popovic l’humour, l’expérience et pleines d’autres idées inspirantes, Bob Helvey l’incontournable problématique des piliers du régime. Dopé par la stratégie de l’action non-violente, je ne me lasse pas de puiser, sans modération, dans les documents et documentaires, dans les films et les livres de l’ICNC, de CANVAS et d’autres sites. Et avec l’intime conviction, l’immense détermination de libérer le peuple djiboutien meurtri, d’instaurer un état de droit et une société démocratique. Je suis encore sur le « long chemin de la liberté » mais convaincu de la future victoire épinglée dans notre plan à rebours. La peur changera de camp.
Nos militants sont encouragés par les photos, les documentaires, les films et les histoires racontées à travers les révolutions non violentes de Serbie, Ukraine, Géorgie, Arménie, Soudan qui est dans notre région, Algérie, etc...
Au début, il a été difficile pour mes camarades. Comme je suis leur leader, je leur ai expliqué, montré les livres, les films, les documents. Une fois convaincu de l'importance de la stratégie de la lutte non violente, j'ai dispensé une formation des formateurs. Aujourd'hui, ce sont les personnes que j'ai formées qui forment à leur tour les militants. Et ce qui m'a beaucoup rendu heureux, ce que mes équipes croient à notre stratégie toute nouvelle et ils ont grand espoir de la victoire.
La grande expérience tirée des actions non violentes, c'est de faire des choses faciles à faire et que tout le monde peut en parler dans la ville et dans le quartier. Les actions ne présentent aucun danger, facile à faire et intéressantes pour les acteurs activistes.
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Au-delà des livres cités par Abdourahman dans cette interview, nous recommandons également La voie de la plus grande résistance : un guide étape par étape pour la planification des campagnes non violentes (titre original : The Path of Most Resistance: A Step-by-Step Guide for Planning Nonviolent Campaigns), conçu spécialement pour les initiés de la résistance civile. La publication est disponible en PDF en anglais, français, espagnol, et catalan sur le site de ICNC.
Abdourahman Mohamed Guelleh, “TX,” is the founding leader of Djibouti’s Rassemblement pour l’action, la démocratie et le développement écologique (RADDE, Rally for Action, Democracy and Ecological Development). The former mayor of Djibouti, TX abandoned politics in 2018 to advance Djibouti’s pro-democracy movement through grassroots organizing. He is an alum of the Solidarity 2020 and Beyond’s International Activists Convening, held in Kathmandu, Nepal in 2023.
Read MoreAmber French is Senior Editorial Advisor at ICNC, Managing Editor of the Minds of the Movement blog (est. June 2017) and Project Co-Lead of REACT (Research-in-Action) focusing on the power of activist writing. Currently based in Paris, France, she continues to develop thought leadership on civil resistance in French.
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