by AnonymousApril 04, 2024
Nous étions une vingtaine des riverains, membres de l’association, venus de différents villages situés à près de 120 kilomètres des plantations sucrières dans le centre du Cameroun. Le 6 juillet 2023, nous nous sommes rassemblés pacifiquement devant le siège d’une multinationale dans le quartier administratif de Yaoundé pour manifester notre mécontentement face à la destruction de nos cultures par les pesticides déversés dans leurs champs par les avions de l'entreprise. En signe de protestation, nous avons déversé les cultures contaminées et visiblement brûlées—feuilles de manioc, arachides—devant la direction générale de l'agro-industriel.
Cette action citoyenne, menée par l’association OnEstEnsemble, n’a pas laissé l’entreprise indifférente. Six jours plus tard, la multinationale, Société Sucrière du Cameroun (SOSUCAM), filiale du groupe français Somdiaa, et nous nous sommes retrouvés en pourparlers en présence du maire de la commune camerounaise de Nkoteng. A l’issue de cette réunion, la SOSUCAM a reconnu sa part de responsabilité et accepté de nous dédommager conformément au décret N°2003/418 du 25 février 2003 relatif à l'indemnisation des cultures au Cameroun.
Le 23 juillet, un protocole d'accord a été signé entre la SOSUCAM et quelques riverains après évaluation de dommages sur terrain estimés à près de 6 000 000 Fcfa (l’équivalent d’environ 9 862 USD). Bien que ce montant soit de loin inférieure aux préjudices subis par toutes les victimes de la SOSUCAM, la reconnaissance des torts par l’entreprise constitue une victoire d’étape dans la lutte pour la justice climatique et une agriculture saine au Cameroun.
Cet article a pour but de partager quelques enseignements de l’expérience de OnEstEnsemble comme campagne non-violente locale pour la protection environnementale. Notamment, quand les revendications environnementales sont portées de manière commune et sur des faits vérifiables, cela légitime et justifie la négociation et renforce les demandes face aux décideurs.
En France, l'épandage aérien de pesticides est interdit en raison des conséquences graves sur la santé des consommateurs et la biodiversité. Au Cameroun en revanche, cette pratique agricole destructrice se poursuit sous la houlette d’une multinationale française. En effet, la SOSUCAM, dans le cadre de ses activités, déverse des pesticides sur une bonne partie d’environ 25 000 à 30 000 hectares qu’elle exploite au Cameroun.
Plusieurs agriculteurs Camerounais se sont notamment plaints des effets dévastateurs de l'épandage aérien tels que la destruction des cultures vivrières, la pollution de l'eau, la disparition de la faune aquatique, etc. Manioc, arachides, maïs, ignames, patates douces, melons, mais aussi la production d'arbres fruitiers, ont été rendu impropres à la consommation.
Dans ce contexte, l’association OnEstEnsemble a émergé en 2017? comme un acteur clé, mobilisant les riverains des plantations pour s'opposer aux pratiques nocives de l'agro-industrie.
OnEstEnsemble organise les habitants de 20 villages riverains des plantations en écosyndicat pour renforcer leurs capacités à défendre leurs droits sociaux, économiques et environnementaux. Avec une approche basée sur les communautés, OnEstEnsemble met l’accent sur l’implication active des membres de la communauté dans l'amélioration de leurs conditions de vie et de travail, en partant notamment de leurs préoccupations concrètes et de leurs aspirations profondes.
A cet effet, OnEstEnsemble organise les habitants riverains des plantations des cannes à sucres impactés et les regroupent autour des comités citoyens (Riverains Ensemble) au sein desquels ces derniers sont renforcés et ou sont fournis des ressources éducatives et des conseils stratégiques. Les formations s’étendent sur divers sujets notamment la responsabilité des entreprises en matière des droits humains, le plaidoyer, la mobilisation citoyenne non-violente, l’organisation communautaire, etc. L’objectif de ces formations est d’amener les résidents locaux à comprendre et prendre conscience des abus dont ils sont victimes de la part de la SOSUCAM pour ensuite se mobiliser eux-mêmes pour y mettre fin.
Ce qui nous emmène à l’action de juillet 2023.
L'action consistait à ramener au direct de la multinationale, les cultures détruites afin de les déverser symboliquement devant son entrée, question de non seulement lui faire vivre ce que nous vivons dans nos champs, mais aussi de lui faire évaluer l'ampleur des dégâts.
Nous sommes donc partis de nos villages très tôt le matin avec des cultures brulées par les pesticides dans des sacs, en transport en commun en direction de Yaoundé. Accompagnés d'autres associations de défense des droits des communautés, et avec l'appui des médias, nous nous sommes mobilisés devant la direction de l’entreprise et nos cultures brulées déversées symboliquement sur le sol. Des échanges des porte-parole avec la sécurité, sous le regard de nombreux citoyens et employés du bâtiment, étaient au rendez-vous pendant que les autres membres entonnaient des chants de solidarité.
En l'absence du directeur général, nous avons une fois de plus mené une mobilisation de quelques membres devant la direction de plantation à Nkoteng. Cette fois-ci, nous avons demandé—et obtenu—un rendez-vous pour des pourparlers avec le directeur. Nous voulions justement avoir des pourparlers immédiatement, c'est pour cela qu’en allant, nous avions déjà préparé la négociation, au cas où on nous recevait.
Ce que les membres ont pu mieux faire c'est le fait déjà de se mettre ensemble pour porter leurs revendications et surtout de rester confiant lors de la réunion.
Au vu des activités dévastatrices des multinationales agro-industrielles, la nécessité d'une action citoyenne visant à garantir une justice climatique et écologique dans le secteur agricole en Afrique est impérieuse. La mobilisation des riverains des plantations de champs de canne à sucre autour de l’association OnEstEnsemble au Cameroun illustre la nécessité de mettre les victimes au centre du combat pour la justice climatique. Lorsqu’elles sont organisées, les populations locales sont plus efficaces que quiconque à stimuler des changements sociaux profonds. Mettre la communauté victime au centre de la lutte pour la justice climatique est non seulement facteur de succès mais aussi et surtout de la pérennité du combat.
Nous avons encore du chemin à faire pour mettre fin définitive et globale à l’épandage aérien de pesticides nocifs au Cameroun. Nous allons donc simplement continuer à s’organiser et construire une alliance citoyenne pour renforcer la prise en compte de nos besoins et pour une justice sociale et environnementale.