by Gaspard BarthélémySeptember 27, 2022
This article was originally published in English on June 9, 2022. Read it here. French translation by author.
J’ai pu participer au cours de mon lycée à de nombreuses manifestations et autres évènements s’opposant à l’inaction climatique de nos dirigeants. L’hiver de 2018-2019 vit l’engouement de mes camarades et ma personne exploser, chacun se targuant d’être le plus écolo et, surtout, le plus engagé. Pourtant, au bout de quelques semaines, le vent de fraîcheur et de révolte pour la planète s’était éteint, et mêmes les plus engagés se faisaient discrets.
Cette vague d’engagement sitôt levée sitôt éteinte ne s’est pourtant pas limitée à mon lycée de banlieue parisienne. Selon le site du mouvement Fridays for Future, la participation mondiale à ces vendredis de grève chuté de plus de 10 millions de jeunes lors du pic de participation le 29 novembre 2019 à moins de 600 000 la semaine suivante, nombre n’ayant toujours pas été atteint depuis la fin de la pandémie.
Fridays for Future est un mouvement écologiste ayant accédé à son renom actuel par le biais des réseaux sociaux, ou étaient lancé des appels hebdomadaires aux lycéens et étudiants à faire grève le vendredi après-midi pour militer en faveur de la protection de l’environnement. Ce mouvement, comme beaucoup d’autres de nos jours, a été victime de son propre succès. Les mouvements, comme une trend TikTok ou, pour les plus vieux, un #icebucketchallenge, peinent à pérenniser leur popularité initiale sur les réseaux. Selon la politologue Erica Chenoweth, cette sur-dépendance des mouvements actuels sur les réseaux mène invariablement vers une baisse drastique du succès attendu au bout d’une courte période. Mais l’impact des réseaux sur la réussite d’un mouvement ou d’une lutte non-violente s’étend au-delà de ces problématiques : de récentes études menées au sein de pays gouvernées par un régime autoritaire observent les réseaux deviennent un outil de contrôle de l’information et de répression (pour une analyse plus extensive de la cybersécurité et de la non-violence, voir cet article).
Cependant, le monde hyperconnecté au sein duquel nous évoluons fait des réseaux sociaux un outil indispensable et inévitable pour les activistes mais aussi pour leurs potentiels soutiens. On peut alors se demander comment les mouvements non-violents actuels parviennent-ils à surmonter cet obstacle et comment font-ils pour faire franchir le large fossé séparant le monde virtuel du monde réel ?
Au sein de Fridays For Future, l’utilisation massive des réseaux sociaux a mené à une participation largement lycéenne et/ou étudiant en études supérieures. Pour éviter ce biais dû à l’âge, problème récurrent de l’utilisation des réseaux sociaux, certains mouvements ont mis en place certaines stratégies de communication et de ciblage d’acteurs potentiels.
Bien que n’étant pas un mouvement pour l’environnement, le mouvement pro-démocratique malais Bersih luttant pour des élections fiables en 2018 constitue un bon exemple de ciblage stratégique. Au lieu de se concentrer uniquement sur la population locale, le mouvement a lancé un appel aux membres de la diaspora malaisienne de revenir dans leur pays pour voter et de s’exposer sur les réseaux sociaux en promettant de le faire, créant à la fois un impact virtuel – les manquements démocratiques en Malaisie sont exposés à la vue de tous et dénoncés- et virtuel – de nombreux nouveaux électeurs menacent d’influencer les élections. Un autre exemple pertinent est celui du Togo : les membres de la diaspora togolaise, non concernés par les coupures d’Internet ciblées ou les violences étatiques, ont pu relayer diverses vidéos de manifestations fournies par des membres du mouvement pro-démocratique. Alors que le Togo est un petit pays non-anglophone, grâce à ces intermédiaires de la diaspora, la couverture médiatique en anglais de ces manifestations et des répressions qui en ont suivi ont permis de générer un important support international pour la lutte en cours.
La diaspora d’un pays, trop souvent mise de côté dans la liste d’alliés potentiels pour un mouvement non-violent, représente une audience facilement atteignable à travers les réseaux qui peut se révéler décisive dans le déroulement et l’aboutissement de l’action non-violente. Les acteurs d’une diaspora sont souvent engagés politiquement et actifs sur les réseaux pour maintenir un lien fort avec leur communauté d’origine. De plus, comme évoqué précédemment, résider à l’étranger permet d’éviter toute censure ou répression étatique, de mettre en lumières des injustices mais également de traduire les informations provenant du pays d’origine et de s’assurer, dans un certain nombre de cas, d’une meilleure sécurité informatique.
Un piège récurrent pour un mouvement sur les réseaux est de lier augmentation de j’aimes, de commentaires ou d’abonnés avec un impact réel. Ces interactions virtuelles, témoins d’intérêt et d’attention par des utilisateurs mais non pas promesses d’adhésion, ne doivent pas être un but en soi mais de simples unités de mesure de la portée du message sur les réseaux et doivent être accompagnées d’actions réelles pour avoir une importance concrète et une longévité.
La branche parisienne du mouvement Extinction Rebellion (XR), mouvement écologiste prônant la lutte non-violente, a lancé le 26 janvier 2022 « l’inévitable rébellion », une campagne destinée à bloquer en avril de la même année les boulevards de Paris lors de l’entre-deux tours de la présidentielle. Une série d’actions à travers l’année (comme par exemple au stand de la FNSEA au Salon de l’agriculture) ont culminé avec le blocage de la porte Saint Denis pendant plus de trois jours.
Ces actions, couplées à un manifeste publié sur les réseaux, leur a permis d’obtenir une plus grande visibilité médiatique. En créant lentement mais surement un engouement médiatique menant à des actions publiques et marquantes, XR s’est fait une place sur la scène politico-médiatique française pendant une des élections des plus mouvementées des trente dernières années. Les j’aime reçu sur leur page Instagram témoignent de ce travail de fond : du début de la campagne à sa fin, les publications Instagram de XR sont passées d’une moyenne 217 à 3230 j’aime par publication. Cette augmentation montre que la portée du mouvement sur les réseaux s’est accrue au fil des mois, sans connaître un rapide pic d’intérêt chutant avec la même rapidité la semaine suivante comme cela a pu se produire avec Fridays for Future. Un hashtag peut changer la discussion sur les réseaux pendant une semaine, mais accompagné d’action concrète, il peut aider à modifier le futur d’un pays entier.
Le répertoire des tactiques numériques va bien sûr bien au-delà des simples réseaux sociaux, comme le montre le site Beautiful Trouble, présentant un panel d’actions à entreprendre pour les mouvements non-violents. Il faut précisément comprendre les réseaux comme un outil parmi d'autres dans la boîte à outils qu’est l’Internet, elle-même boîte à outils parmi d’autres.
Si l'impact des réseaux sociaux est indéniable, si ces plateformes se sont infiltrées dans chaque aspect des relations publiques, elles ne sont ni un but en soi ni le seul outil disponible pour faire avancer nos luttes pour les droits, la justice et la liberté.
Gaspard Barthelemy is a French graduate student in public law at the Catholic University of Paris (ICP), currently in the process of joining an international relations master’s degree. He enjoys writing about environmental movements, social media and nonviolent action. During his high school years in both Washington, D.C. and Paris, France, he participated in Fridays for Future marches as well as Model United Nations.
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