by Abdourahman Mohamed Guelleh, "TX"October 14, 2020
Cet article est également disponible en anglais (ici).
Dans notre pays, les partis d’opposition politique traditionnels ont toujours eu du mal à faire bouger les lignes. Rien ne change sous un régime autoritaire ! Fraudes électorales et détention du pouvoir par la force, répression tout azimut, prison, tortures, traitements inhumains, licenciement des fonctionnaires engagés, exil forcé, déchéance de nationalité, intimidations, menaces, chantages, assassinats, etc…rythment la vie quotidienne des combattants pour les libertés fondamentales, la démocratie et l’état de droit. Quant au peuple, il est terrorisé et paralysé par la résignation, l’apathie et la peur. Cette situation dure depuis des décennies.
Pour faire face à cette dure réalité et au désespoir, notre mouvement épouse la lutte non violente comme seule et unique stratégie d’action contre le régime autoritaire en abandonnant les réflexes politiques des partis traditionnels ne donnant aucun effet depuis presqu’un demi-siècle. Toute l’énergie, de la réflexion à l’action, est orientée dans les techniques et les actions non violentes.
Le leader du mouvement, pionnier en la matière dans le pays et entièrement investie dans l’acquisition des nouveaux savoirs et connaissances sur la stratégie et les techniques de la non-violence à travers internet et sites spécialisés (ICNC, CANVAS, et d'autres sites), propose à ses camarades l’idée d’une banderole dans un cercueil. L’idée avait pour objectif de tester l’efficacité d’une action non violente en vue de l’entériner définitivement puisque vantée, relayée, vulgarisée, enseignée par des experts, des historiens à travers le monde et l’Histoire.
D’apparence et d’emblée, l’idée d’une banderole dans un cercueil proposé aux camarades de lutte semble anodine. La présentation et l’exposé sur les différentes phases de l’action programmée (conception, objectif, préparation, déroulement) attirent l’intention des activistes. L’idée fait mouche. Elle est même améliorée et proposée sous une version beaucoup plus dramatique (c’est-à-dire l’exposer dans une mosquée et devant des fidèles) mais vite abandonnée pour ne pas choquer l’opinion. Finalement, un scénario adouci préparé à la maison a été adopté dans une atmosphère empreinte de rire et de satisfaction totale.
Cette action non violente a mobilisé comme objets un cercueil, un carton d’un mètre et demie, une banderole et cinq activistes comme ressources humaines. La veille, un grand carton d’un mètre et demie fut préparé. Il est enroulé comme une personne, à la même taille près. Ensuite, le carton fut drapé d’une assez grande banderole en entier et sur laquelle sont transcrits en gros caractère le sigle du parti au pouvoir « Le RPP est mort ». Le tout est mis dans un cercueil en apparence réel, portant un corps humain fictif, sans vie et sur lequel rien ne laisse apparaitre une contre vérité. Le cercueil du « défunt fictif » emprunta une rue particulièrement fréquentée et à proximité d’un marché à étals de fruits, de légumes et de viande. Quatre activistes, deux à l’arrière et deux à l’avant étaient désignés pour transporter le « corps sans vie » sur épaules. Un vidéaste-photographe, le cinquième activiste, accompagnait l’équipe et filmait la scène « macabre ».
Dans notre culture, le passage d’un cercueil en ville, à pied ou à véhicule, est toujours synonyme d’une immobilisation des passants à piétons et de véhicules en circulation qui doivent absolument observer un moment de silence et des prières à la mémoire des personnes décédées et transportées en cercueil. Ce qui était le cas pour notre cercueil. Face à des gens immobilisés et assez nombreux le long de la rue, nos activistes déposent « le corps sans vie » et disparaissent dans la nature comme un éclair. La rue est en émoi ! Du jamais vu ! Est-ce un crime ? Pourquoi aurait-on déposé le cercueil et la personne décédée en plein milieu de la rue ? Toutes les questions et les interrogations suscitent l’émoi des gens présents sur le lieu où s’est déroulée l’action. L’incompréhension générale se mêlait à l’immense émoi suscitée.
En moins d’une heure, convergent sur le lieu des policiers, des gendarmes, des agents de renseignements, la police scientifique, des agents publics (préfecture, mairie, etc…), des médecins légistes, les services spéciaux de crimes, des photographes, des journalistes du régime, etc… Minutieusement et avec beaucoup de rigueur et d’attention particulière, à l’ouverture du cercueil, les spécialistes et forces de sécurité ainsi que le public se cassent la figure. La découverte macabre qui a mobilisé autant des ressources humaines et matérielles n’a été qu’une simple petite banderole sur laquelle sont écrits ces mots: « Le RPP est mort » (sigle du parti au pouvoir).
Cette petite grande action non violente a fait réagir le président de la république, chef du régime autoritaire à l’occasion d’une interview accordée à un journal international et en réponse à une question portant sur la détermination du leader du mouvement à abattre le régime. L’action a frappé fort la psychologie du dictateur. La place publique s’est emparée du sujet qui a fait les frais de commérages des usagers de la rue, du marché et de l’opinion publique. Cette action réalisée dans le cadre de tests de la lutte non violente a confirmé notre décision d’épouser à jamais la stratégie de la lutte non violente comme mode opératoire de nos combats contre le régime autoritaire vieux de presque d’un demi-siècle.
Abdourahman Mohamed Guelleh, également connu sous le nom de "TX", est une figure majeure de l'opposition à Djibouti. Ancien maire de la ville de Djibouti, il dirige le parti d'opposition Rassemblement pour l'action, la démocratie et le développement écologique. En 2019, son passeport lui a finalement été remis, et il a été autorisé à quitter Djibouti pour rejoindre sa famille, qui s'était enfuie en Belgique trois ans auparavant. Sa femme ayant quitté Djibouti alors qu'elle était enceinte, Abdourahman n'a rencontré son dernier enfant qu'à son arrivée en Belgique, alors que celui-ci était déjà grand. Il est un fervent défenseur de l'action nonviolente, devenu autodidacte en la matière grâce à des recherches en ligne, notamment à travers les ressources d'ICNC et d'autres organisations.
Abdourahman Mohamed Guelleh, “TX,” is the founding leader of Djibouti’s Rassemblement pour l’action, la démocratie et le développement écologique (RADDE, Rally for Action, Democracy and Ecological Development). The former mayor of Djibouti, TX abandoned politics in 2018 to advance Djibouti’s pro-democracy movement through grassroots organizing. He is an alum of the Solidarity 2020 and Beyond’s International Activists Convening, held in Kathmandu, Nepal in 2023.
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